4.07.2014

Rencontre avec Shin Su-Won, réalisatrice du film "Suneung"

A l'université, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Shin Su-Won, la réalisatrice du film coréen "Pluto" et intitulé "Suneung" en France. Il sortira le 9 avril prochain dans les salles françaises.
Voici donc un petit retour sur cette rencontre !





------Synopsis------

Yujin, élève de terminale promis à un avenir brillant, est retrouvée assassinée. Très rapidement, les soupçons se portent sur June, l'un de ses camarades de classe. Mais en remontant le fil des évènements, c'est un univers d'ultra-compétition et de brutalité qui est révélé au sein de ce lycée d'élite, où la réussite au "Suneung", l'examen final qui conditionne l'entrée des élèves dans les meilleures universités, est une obsession. Pour être parmi les premiers, certains sont prêts à tout, et même au pire...





------Interview------

Véritable phénomène de société, le Suneung 수능 (suhak neungnyeok siheom 수학 능녁 시험) ne signifie pas le baccalauréat comme en France. C'est un concours national qui donne un rang à tous les étudiants pour entrer dans les meilleures universités de Corée du Sud.

Pourquoi avez-vous choisi le thème "Suneung" et pourquoi le titre du film est-il "Suneung" ?
C'est mon 2ème long-métrage. J'avais au départ un projet de roman qui était justement en lien avec le Suneung. J'ai enseigné au lycée et j'ai bien constaté que la concurrence pour l'entrée à l'université était très rude et qu'il y avait beaucoup de beaucoup liés à l'éducation privé ( instituts privés "hagweon" 학윈) donc j'ai bien pensé qu'il y avait un problème dans l'éducation en Corée.
Pour aller dans les meilleures universités, il faut rentrer dans les meilleurs lycées et il faut déjà travailler davantage au collège en prenant des cours très coûteux en plus dans ces instituts privés. Du coup ceux qui étaient issus de familles défavorisées n'avaient pas les mêmes chances, et ceux qui étudiaient le soir tard, dormaient en cours.
De ce fait, beaucoup de collégiens et lycéens se suicident, et ce de plus en plus, la Corée passant à la 1ère place du taux de suicide le plus élevé chez les jeunes (passant devant le Japon), avec environ 300 suicides d'élèves par an.
Auparavant la concurrence n'était pas aussi féroce, mais elle s'intensifie de plus en plus. Du coup dès l'école primaire, les parents dépensent énormément d'argent pour permettre à leurs enfants de prendre des cours privés.
A peu près 600 000 lycéens passent cet examen du Suneung et les matières les plus importantes sont le coréen, l'anglais et les mathématiques. La concurrence étant de plus en plus rude, les sujets d'examen deviennent de plus en plus difficiles chaque année. Les élèves qui ne peuvent pas prendre de cours privés ne réussissent pas à avoir le même niveau et certains abandonnent ces matières dès le collège en se sentant incompétents et marginalisés.
J'ai vu par exemple un élève de 1ère année au collège qui était très talentueux mais qui a abandonné. Il a commencé à se teindre les cheveux (ce qui est interdit), à fréquenté des voyous, et à créer des problèmes. Malheureusement même sa famille ne réussissait pas non plus à l'encadrer, et je me suis sentie réellement impuissante.
C'est ce genre de constats en plus de mon expérience personnelle qui m'ont poussés à réaliser ce film.

Est-ce que ce film a été réalisé pour faire changer les idées, et faire changer l'examen qui est non-adapté aux étudiants ?
Je ne peux pas dire que je n'avais pas pour objectif d'alerter sur cette situation en Corée, mais au départ je ressentais surtout de la pitié pour mes élèves.

Donc c'est un cinéma pour alerter l'opinion public, qui n'est pas de la pure fiction ?
Oui j'en avais bien conscience sans pour autant donner de leçon à la société. Je voulais seulement raconter la tragédie de deux lycéens.

Dans un milieu très majoritairement dirigé par des hommes, comment le fait qu'une femme comme vous réalisant ce type de film sur un sujet qui a tant de controverse en Corée, a été perçu ?
Comme vous le savez, la société coréenne est très machiste et donc ce n'est évidemment pas facile d'être une réalisatrice en Corée du Sud. Et c'est vrai qu'au niveau des réalisateurs, il y a encore très peu de femmes qui percent même s'il y a beaucoup d'étudiantes qui s'y dirigent.
Dans le cinéma, les femmes ont principalement des métiers de maquilleuses, costumières. Et la plupart sont des hommes, certains étant plus dynamiques voire violent quitte à donner un coup de pied aux acteurs.

Est-ce que vous êtes vous-même violente alors ? [rires]
Ca m'est arrivé de donner un coup oui. Je ne me souviens pas très bien, mais c'était un coup dans un mur qui m'a fait très mal [rires].
En vérité, je hausse le ton "concentrez-vous!" "Ready! Go!", et ça dure quelques jours.
Il y a quand même chez les plus jeunes une pensée vers une évolution du rôle de la femme dans la société, heureusement, où les jeunes hommes ont un esprit plus ouvert.

Est-ce que pour faire des recherches sur ce sujet cela n'a pas été trop difficile d'avoir accès a des avis des parents et des membres de l'éducation ? Car leurs désirs est quand même que leurs enfants aient une meilleure place dans la société et ça a dû être difficile pour eux d'admettre le problème.
Je n'ai pas eu trop de difficultés puisque j'ai enseigné en lycée à 500 élèves par an pendant 9 ans. J'ai donc rencontré des parents d'élèves, mes collègues, et je suis moi-même mère d'un fils qui vient de rater son examen et qui va le repasser.
Mais comme ça fait un moment que j'ai quitté l'enseignement, j'ai dû enquêté un peu. Il s'agit donc d'un lycée renommé de langues étrangères, et j'ai lu tous les articles le concernant, et j'ai enquêté auprès des personnes travaillant dans les lycées.

Comme vous êtes impliquée en tant qu'enseignante et parent d'élève, que pensez-vous des écoles alternatives ?
Il y a un syndicat des enseignants en Corée qui sont contre ce genre de politique éducative. Donc il y a de petites écoles qui naissent, ainsi que du home schooling, et des écoles où le but n'est pas d'atteindre les meilleures écoles. Mais le problème reste car les enseignants, malgré leurs idées différentes, tâchent tout de même d'envoyer leurs élèves dans les meilleures universités.
Au fond ce n'est qu'un problème d'éducation mais un problème plus général de la société. Car après l'université il faut trouver un travail et pouvoir vivre normalement. Comme il y a un taux de chômage important chez les jeunes en Corée, ils essaient  tous d'entrer dans les universités SKY (Seoul National University, Korea University, Yonsei University, les plus renommées). Mais la société doit changer quant à ce recrutement d'élites, où il faut sortir d'une bonne université pour avoir le contact qui va pourvoir le poste.

J'ai toujours eu le cliché des professeurs japonais et coréens qui sont volontairement méchants envers leurs élèves et leur mettre une grosse pression sur les épaules. Est-ce vrai ?
C'est vrai qu'il y en a, mais il y en a aussi qui ne le sont pas. J'ai été enseignante en histoire, et dans mon cours, je suis amenée à raconter beaucoup de détails. Mais beaucoup d'élèves pensaient que c'était inutile et ne voulaient que je leur dise que ce qui était utile par rapport au sujet d'examen afin d'avoir une bonne note. Il y a donc une exigence de la part des étudiants qui exigent du professeur le service qui correspond exactement à ce qu'il faut savoir pour l'examen. Ils ne recherchent pas du tout à posséder une culture générale, c'est une perte de temps pour eux.
Dans ma classe, les notes n'étant pas très élevées, j'ai été convoqué par le directeur de l'établissement, à la suite de pression des parents qui disent que tel et tel enseignant ne savent pas enseigner. C'est donc difficile pour un enseignant d'avoir une marche de manœuvre et ne doit enseigner que ce qui est nécessaire à l'examen afin que les élèves obtiennent de bons résultats. 

Le titre original est "Pluto". Pourquoi "Suneung" pour le titre français ?
"Pluto" ne renvoyait qu'au genre de film comme "Apollo 13" en France. Du coup on a préféré donné un titre coréen, car ainsi on serait obligé de se demandé ce que veut dire "Suneung" et de faire des recherches dessus.

Quelle est la présence de la religion (protestantisme et bouddhisme) dans la préparation du Suneung  ? Et comment est vécu le fardeau de l'échec pour les mères ?
Le tournage a eu lieu après la date du Suneung. Du coup j'ai d'abord filmé les scènes du suneung avant le reste.
Je me suis donc rendue dans des temples où il y avait énormément de monde, et également dans une église protestante où le déroulement de la journée était précisé (épreuve d'anglais avec les horaires précis, puis le second etc) et où les mères priaient (les pères travaillent). Elles mettent donc des bougies, et donne des gâteaux collants les 'tteok" 떡 à l'entrée de l'examen pour "coller" les connaissances.
Quand mon fils a raté l'examen, je me suis demandé si je n'aurais pas dû être aussi fanatique que ces mères que j'ai filmé ensuite, si je n'aurais pas dû aller prier, etc. Un sentiment de culpabilité envahi souvent les mères.
C'est vrai que pour la réussite des enfants, on dit en Corée que c'est grâce à l'argent du père et la compétence de la mère. Je me suis donc sentie un peu coupable, que j'aurais peut-être dû mieux m'occuper de lui. Et j'ai eu peu qu'il se suicide lorsque il a échoué. Je lui ai donc dit, qu'au moins une fois dans sa vie, on peut échouer, on a le droit à l'échec. Mon fils m'a dit que durant ces 7h d'examen il avait pensé "ah, c'est ça la vie", mais que ça avait été une bonne expérience pour lui.

Quels ont été les moments les plus difficiles durant le tournage ?
Il y a eu pas mal de scènes assez dangereuses. Par exemple avec une bombe où on a utilisé des matériels réels. Evidemment il y a eu des effets spéciaux, mais j'ai eu très peur qu'il y ait un accident.
Egalement, le dernier jour alors qu'on filmait en été, il a fallu tourné des scènes d'hiver avec des vêtements très chauds. Je me suis sentie assez mal. Quand j'ai dit "OK!" tout le monde a applaudit !

Est-ce que le gouvernement essaie de contrer l'élitisme des grandes universités ? Est-ce que le gouvernement n'essaie pas de forcer les entreprises a ne pas regarder d'où viennent les candidats ?
On dit bien qu'il y a d'autres universités que SKY, car il y en a qui peuvent être célèbres dans un domaine particulier (cinéma). Mais en général les parents veulent toujours envoyer les enfants dans les universités SKY à Séoul. Il y a une discrimination entre les universités de Séoul et celles de province. Et au final, les entreprises regardent de quelle université viennent les candidats et non pas les centres d'intérêts ni leurs études. Qui plus est, le recruteur préfère recruter des personnes qui viennent de la même université que lui car c'est ensuite plus facile de former une sorte de grande famille (même région, même département). Il y a tout un réseau d'anciens élèves, ça créé une certaine loyauté, et c'est très prisé en Corée. D'où l'importance de l'élitisme et de rentrer dans les cercles dès le départ. En France il y a ça aussi avec Science Po, HEC etc.
Mais le gouvernement n'a pas la main sur les entreprises et ne peut donc rien faire.

Pourquoi le titre coréen "Pluto" ?
Pluton est la dernière planète du système solaire. Au moment où j'écrivais le scénario en 2006, les scientifiques se sont réunis lors d'un congrès international d'astrophysique et ont destitué Pluton qui est devenue un simple astéroïde car ne correspondait pas aux critères de taille, gravité etc. Pour les lycéens, leur destin dépend d'un seul jour d'examen et les élèves talentueux ne peuvent pas s'épanouir dans la société. Je pense que l'être humain est trop prétentieux, au point de chasser une planète du système solaire.

Arrivés à l'université, est-ce que les sud-coréens doivent trouvé un travail à côté de leurs études comme en France ?
Je ne sais pas comment ça se passe en France mais en Corée, les étudiants travaillent beaucoup car les frais d'inscriptions augmentent de plus en plus et certains doivent arrêter momentanément leurs études pour les payer.

Quelle est la difficulté de proposer un film d'auteur qui peut déranger, à un public coréen qui a davantage l'habitude de grosses productions ?
Il ne s'agit pas totalement d'un film d'auteur puisque j'ai quand même reçu un financement. J'ai simplement pas pu avoir de grandes stars très connues. Et finalement le film a été diffusé dans une centaine de cinémas. Quand on a des stars, il faut faire un film commercial, d'action. Mais je ne voulais pas aller dans ce sens. Mais j'ai pu obtenir du producteur de prendre des acteurs moyennement connus.
En France il sera plus reconnu comme un film d'auteur qui mélange les genres. Mais le budget de production a été de 500 000 dollars, ce qui en France, pour un film d'auteur est vraiment très peu.

Avez-vous forcé le trait pour en faire un film plus dramatique ? Ou est-ce que vous avez davantage collé à la réalité ?
Dans la scène avec le professeur privé, il demande 700 euros pour un cours, seulement de conseils. La mère pensait que c'était pour un mois de cours. A Gangnam, il y a certains professeurs qui pratiquent réellement ce genre de prix car ne proposent que des questions très ciblées qui peuvent apparaître dans les sujets d'examens. Ces professeurs, on ne trouve pas leur numéro, car personne ne les communique. Du coup, j'ai fait des recherches, et c'est ce que j'ai réellement entendu de la part de parents d'élèves.
Il y a 20 ans j'ai entendu un aîné me proposé un mois avant l'examen, de séjourner dans la maison de l'élève pour donner des cours, pour 10 millions de wons. Désormais, on propose ceci pour 50 millions de wons.

On ne peut pas demander à quelqu'un de passer l'examen à sa place ?
J'ai vu un cas dans les journaux où les élèves de collège pour rentrer dans un lycée renommé, avaient ébruité le sujet d'examen.

On a appris que la plupart des femmes quittaient leur travail pour se consacrer à la réussite scolaire de leur enfant. Quel est le regard de votre entourage par rapport à votre métier et l'échec de votre fils ?
J'avais une mère qui ne s'occupait pas trop de notre réussite scolaire. Quand on veillait tard elle nous demandait d'aller nous coucher. Elle n'a jamais mis pression sur nos épaules. Je me suis juste dit à un moment qu'il fallait que je travaille davantage. Du coup, je suis pareille que ma mère, et mon fils m'a souvent demandé pourquoi je n'étais pas plus sévère, et pensait que je ne m'intéressait pas à lui. Mais en tant que réalisatrice, je veille tard et dois parfois séjourner un mois en province. Donc je ne peux pas m'occuper vraiment de mon fils tous les jours, et je ne peux pas abandonner non plus mon métier. Donc je luis dit simplement que c'est son destin, c'est comme ça !


Merci à Shin Su-Won, et à nos professeurs pour la traduction et les explications supplémentaires


Sur les écrans français le 9 avril

xxx,
Miss Cheshire

2 commentaires:

  1. J'ai vu la bande annonce vite fait à la tv mais je n'avais pas retenu le titre! J'ai vraiment envie de le voir. Le ciné Coréen est absolument génial.

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    1. N'est-ce pas ! Plus je le découvre, et plus j'aime le cinéma sud-coréen. Cela dit, pour d'autres raisons cependant, le cinéma nord-coréen l'est tout autant ! Je ferai sûrement un article prochainement là dessus aussi :)
      Merci en tout cas d'être passée par ici Sasha ! :)

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